BERNARD PERROY

sa poésie, ses collaborations, ses liens...


ÉCRIRE COMME ON ÉCOUTE

propos sur Gilles Baudry

 

                  (article de B. Perroy paru dans Friches n°103, déc. 2009)

 

 

 

« Une voix accordée au silence »

 

Gilles Baudry, ce fut d’abord pour moi cette voix avenante et fraternelle que je découvris, voici déjà plus de quinze ans, au bout du fil… (téléphonique) ! Une voix qui s’accordait à merveille avec le titre du premier recueil que j’ai connu de Gilles : Invisible ordinaire1. Oui, plus que les mots eux-mêmes, la voix véhiculait le fleuve d’une vie d’écoute, d’attention, portée par une curiosité insatiable, une quête, une passion, en même temps qu’elle s’écoulait tranquille dans les méandres d’un temps tout ordinaire : invitation à voir et à toucher la trame bien réelle de ce qui fait notre quotidien, invitation à toujours plus d’incarnation et d’humanité pour déceler en filigrane ce ‘je ne sais quoi’ qui provoque l’étonnement : Mais qu’est-ce qui fait battre le cœur immobile des roses ?2… Le moine bénédictin et le poète - que j’ai rencontré par la suite à l’abbaye de Landévennec - a toujours beaucoup de choses à raconter ; mais curieusement, tout se dit et se partage sous le sceau d’un Présent intérieur3 - pour reprendre le titre d’un autre de ses recueils - qui donne à la voix sa qualité de silence… Un silence habité… Une voix confidente… Le poète, parlant de son écriture, affirme : « Dans le poème, la parole est une modalité du silence. La poésie est une voix accordée au silence, un chant-respiration de l’être né de l’écoute, de l’attention extrême. »4 Rien ne presse… Nécessaire lenteur à qui veut vivre profondément l’instant présent et goûter la majesté des heures les plus quotidiennes2, ou encore comment aujourd’hui l’air est si pur qu’il improvise2. Invitation à la patience : Le temps repousse les avances de la hâte 1. De quoi affiner l’ouï, le regard et le désir pour être dans cette disposition d’accueil ou de veille, en toute simplicité. Et l’on baisse la voix/ pour mieux se voir et pour apprendre/ l’humilité d’être homme5. Gilles Baudry fait partie, avec Philippe Jacottet ou Jean-Pierre Lemaire, de ce que Jean-Pierre Denis appelle les “poètes du murmure”6. Ces poètes ont en commun une écriture discrète, intime, où « le sentiment d’un illimité donne sens à notre limite »7. Dans la poésie de Gilles Baudry, loin des voix claironnantes et des grands mots, « Dieu, rarement nommé, se laisse deviner par une parole qui a intériorisé la lecture de la Bible ».6 D’ailleurs, pour Gilles Baudry : moine et poète, ce n’est ni un dualisme, ni un amalgame. Une double et unique tension plutôt vers une même direction8.

 

« L’oreille aux sources » 9

 

Quand on s’aventure dans un recueil de Gilles Baudry, on entre dans un pays/ où le secret est un bouche à oreille/ de la part des sources5. Le lecteur, avec le poète, part à la conquête d’un “inaudible” qui vient se dire comme l’effleurement de la brise1, et l’on devient le détenteur d’un rêve légitime/ qui demande où naissent les vents/ où meurt la mélodie de notre destinée1. L’écriture, pour Gilles Baudry, n’est jamais un “acquis”, mais bien plutôt un chemin… Gilles ne se considère pas comme le propriétaire de ses mots mais comme le dépositaire d’une parole3, et plus précisément comme un artisan passeur de sève1 : sève lente, invisible mais réelle et prédisposant, sous l’écorce, à l’éclosion de la vie… Il y a chez lui une intrication, une réciprocité fondamentale entre le visible et l’invisible, entre la pulsation des mots et celle de la vie dans son expérience concrète la plus authentique, comme l’atteste cet admirable aphorisme : Écris avec l’âme des mots, mais donne-leur ta propre chair8. Gilles Baudry fait ce va-et-vient permanent entre le ciel et la terre, l’éternité et la teneur de ces paysages confidents3 que sont pour lui l’océan, le pouls des marées2, les monts d’Arrée, la Brière, les îles comme Sein ou Ouessant, l’Aulne visible de sa fenêtre ou encore le désert du Neguev… Une poésie de l’ineffable qui s’entend à merveille avec l’art du détail, avec une écriture de libellule2 qui s’attarde sur une odeur de mousse et d’humus2, sur l’enluminure des fougères couleur renard2 ou sur ce ciel d’octobre où tremble l’or fin des bouleaux1. Une poésie de l’instantané qui recèle dans le même temps cette interrogation : Que sais-tu de l’éternité/ sans ombre et sans rivage,/ de sa soudaine coulée d’or/ sur tes épaules brèves ?1. Une poésie ‘recto-verso’ : L’écriture des arbres aux gothiques jambages recèle à son verso une trouée d’extase, un guet-apens de l’invisible10. Avec cet inouï du regard10, Gilles Baudry observe, vit et jubile devant les jeux et le miel de la lumière9 posée sur toute chose telle un battement intime entre l’aube et l’aurore9. Le poète avoue : J’ai perdu pied dans la louange… /et quand m’étreint la joie/ entre ses hanches riveraines/ je m’en reviens/ au lieu de ma naissance1. Et l’homme ici cultive l’émerveillement qui n’est pas une joie béate mais bien un émerveillement mûri par les épreuves, l’expérience du manque, de la brûlure de vivre11 ou encore de la profonde fêlure du monde2... C’est donc une décision, prise non sans humour : Prendre l’habitude de ne pas s’habituer8

 

« Homme dont l’enfance reste inachevée »1

 

L’enfance… Non un vain mot, mais bien la conduite de celui qui va d’un pas de premier jour1. Aimer nous dépossède./ Cette pauvreté nous irrigue9 confie Gilles Baudry qui précise ailleurs : Mieux vaut que rien ne tienne entre nos mains… Ce qui nous serait retiré élargirait notre horizon1. Être enfant, se faire léger2, c’est ne plus rien avoir à retenir, c’est céder à cette haute folie/ d’aimer sa pauvreté5, c’est trouver la force d’être sans défense1. Le vieil homme, enfant devenu/ rira sans bruit sous son jour le plus vrai5. Cette attitude est en même temps pour Gilles Baudry le gage d’une fécondité, car elle engendre une ouverture à tout ce qui nous entoure, une ouverture à l’autre… et permet de s’enivrer de gratitude10. L’autre sera ce peintre ou ce musicien que Gilles convie dans ses textes à la hauteur des émotions qu’ils engendrent, comme avec les couleurs de Zao Woo-Ki, Chagall, Turner… ou les notes fertiles de Sibelius, Th. L. Victoria, Bach, Satie, Dutilleux, Arvo Pärt… Sur fond d’éternité/ la musique n’est rien/ que ce frisson/ qui nous dépasse d’une épaule2. Cette ouverture à l’autre forge également chez Gilles une prédisposition à la rencontre et à l’amitié, avec des poètes comme Manoll, Hélène Cadou, Anne Perrier, J.P. Lemaire, Sylvie Reff, Jean-François Mathé, Jean Lavoué, Pierre Gabriel, Serge Wellens, J.P. Jossua, Josette Ségura, Yves Prié, Jean-Yves Masson, F. Cheng, François Cassingena-Trévedy et bien d’autres… Gilles Baudry constate que le poète est un homme ordinaire, mais à l’écoute… Selon lui, « il faut démystifier l’inspiration, la poésie, tout en leur accordant un espace : celui du mystère. L’important, c’est tout ce qui n’est pas dit. » Son écriture se garde de toute emphase, aime le blanc des marges. Il s’agit moins d’aligner des mots que d’en retrancher, mais en se gardant également de tout minimalisme. Humaine, son écriture respire le “tremblé” d’une vie réceptive à la signature d’un brin d’herbe5 ou à un bruissements de cœur2. Laissons encore à Gilles Baudry le mot de la fin : Comme affranchi des mots/ le silence te gagne// les mains tranquilles sur la table/ tu attends que la plume retourne à l’oiseau2

Bernard Perroy

 

 

 

Notes :

1 Invisible ordinaire, éd. Rougerie, 1995

2 Versants du secret, éd. Rougerie, 2002

3 Présent intérieur (précédé de Poèmes Choisis 1984-98), éd. Rougerie, 1998

4 propos recueillis par François-Xavier Maigre (‘La Croix’ du 21 février 2009)

5 La seconde lumière, éd. Rougerie, 1990

6 dans un article qui rassemble P. Jacottet, G. Baudry et J.-P. Lemaire (revue “Écritures”)

7 Jean Starobinski, Parler avec la voix du jour, préface à Poésie (1946-1967) de P. Jacottet, Poésie/Gallimard

8 La porte des mots, Aphorismes, éd. Rougerie, 1992

9 Jusqu’où meurt un point d’orgue ?, éd. Rougerie, 1987

10 Nulle autre lampe que la voix, éd. Rougerie, 2006

                 11 Il a neigé tant de silence, éd. Rougerie, 1984 (Prix Antonin Artaud 1985)
 
 



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